C’est une fanfiction qui a enflammé les réseaux. Manacled, romance sombre entre Drago et Hermione, est devenue Alchemised, un roman publié bientôt dans les librairies françaises. Retour sur un phénomène littéraire qui secoue autant les fans d’Harry Potter que le monde de l’édition.
Manacled : une romance interdite dans un monde où Voldemort a gagné

À l’origine, Manacled est une fanfiction Dramione publiée anonymement sur AO3 (AO3 – Archive of Our Own – est une grande bibliothèque en ligne pour héberger, lire et partager des fanfictions et autres œuvres). L’histoire imagine un univers alternatif où Voldemort a remporté la guerre. Hermione y est capturée, réduite au silence, privée de souvenirs. Drago Malefoy devient son geôlier.
Cependant, derrière cette situation sombre se cache une romance complexe, marquée par la guerre, le deuil et les cicatrices invisibles. Le tout dans une ambiance dystopique inspirée apparement de La Servante écarlate.
Le carton sur AO3 : un raz de marée inattendu
Avec plusieurs centaines de milliers de lectures, des fanarts à la chaîne, des vidéos TikTok par milliers et même des traductions pirates, Manacled est vite devenue virale. Certains lecteurs découvrent même Harry Potter par cette fanfic, sans avoir jamais lu les romans originaux. Plusieurs chroniques de lecteurs ont en effet avancé qu’ils n’avaient jamais lu Harry Potter et que Manacled avait alors été la toute première porte d’entrée.
De façon générale, le phénomène Manacled dépasse les frontières du fandom. C’est un véritable succès underground – un bouche-à-oreille numérique qui ne faiblit pas depuis 2018. Sa publication, via une version modifiée, semble donc plutôt logique au vu du succès et un choix particulièrement stratégique pour les acteurs du livre.
Alchemised : même intrigue, nouveaux noms
Pour pouvoir publier légalement son histoire, l’auteurice SenLinYu décide de tout réécrire. Les noms changent, l’univers aussi, mais les dialogues et l’intrigue restent familiers aux fans. Résultat : la sortie en anglais est d’Alchemised est prévue pour fin septembre 2025 en anglais et tandis que l’édition française est attendue pour le 1ᵉʳ octobre 2025 dans le catalogue de BMR.
Même s’il ne mentionne plus Harry, Drago ou Hermione, le roman est reconnu immédiatement par ses lecteurs comme l’alter ego officiel de Manacled. Un vrai cas d’école de réécriture commerciale assumée, mais qui est loin d’être le seul.
Fanfiction x édition : pourquoi ça marche aussi fort ?
Parce que la fanfiction a déjà servi de crash test : l’histoire plaît, les personnages fonctionnent, l’émotion est là. En la retravaillant, l’auteurice transforme un succès numérique en objet éditorial. C’est un pari que d’autres tentent aussi, mais Manacled / Alchemised est l’un des exemples les plus frappants.
Et puis, il y a le frisson : celui de lire une histoire « interdite », venue du fandom, transformée en potentiel best-seller. Une romance noire, dérangeante, mais puissante. N’oublions pas en outre que la fanfiction possède déjà sa propre communauté de fans, lui permettant de s’assurer un certain succès dès sa sortie en librairie.
Harry Potter, un univers repris… sans JK Rowling
Ce phénomène révèle aussi un paradoxe fort. Beaucoup de lecteurs et de lectrices de fanfictions se disent aujourd’hui en désaccord total avec J.K. Rowling, notamment à cause de ses prises de position jugées transphobes.
Et pourtant, ces mêmes personnes continuent à lire – ou écrire – des histoires dans cet univers, en le détournant, en le réécrivant à leur manière. Pour elles, c’est une manière de se réapproprier un imaginaire marquant, sans pour autant en cautionner l’autrice.
Une tendance qui dépasse Harry Potter ?
Le cas de Manacled / Alchemised n’est pas isolé. D’autres fanfictions, dans d’autres univers, deviennent des romans publiés (Twilight, After, The Love Hypothesis, etc.). Toutefois, ici, la noirceur du propos, le rapport à JK Rowling, et la manière dont l’œuvre a été transformée en font un cas quasimment unique.
À l’heure où la romance se décline dans tous les genres, y compris les plus sombres, cette histoire montre que les lecteurs et les lectrices veulent plus que du divertissement : elles veulent vibrer, se confronter à des récits forts, et parfois même écrire leurs propres règles.