Réédité par J’ai Lu, le premier tome de La Saga des Quatre Soldats d’Elizabeth Hoyt semblait cocher toutes les cases de la romance historique traditionnelle : une héroïne aristocrate, un ancien soldat américain, une tension sociale et une passion contrariée. Pourtant, à la lecture, le charme s’efface peu à peu pour laisser place à un certain inconfort. Que dit ce malaise d’une partie de la romance historique actuelle ?
La saga des quatre soldats : un début prometteur, fidèle aux standards du genre
Sur le papier, tout est là pour séduire les amatrices de romance historique : une héroïne veuve et respectable, Lady Emmeline Gordon, un héros torturé venu d’Amérique, Samuel Hartley, une tension de classe, une enquête militaire en toile de fond, et un Londres de 1764 décrit avec soin.
Elizabeth Hoyt n’est pas une inconnue du genre, loin de là. Autrice réputée dans les années 2000 – 2010, elle fait partie de ces grandes plumes anglo-saxonnes qui ont façonné la romance historique de leur époque. Son style, soutenu, mais accessible, s’inscrit dans la tradition des Julia Quinn ou Lisa Kleypas, avec une touche de sensualité assumée.
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Un roman figé dans les codes d’une autre époque éditoriale ?
Toutefois, cette réédition, si elle permet de redonner de la visibilité à l’œuvre, met aussi en lumière un problème plus large : celui du décalage entre les codes narratifs d’hier et les attentes d’aujourd’hui.

Derrière la mise en place soignée et les premiers chapitres engageants, c’est la dynamique amoureuse qui fait basculer la lecture. La tension entre les deux personnages devient rapidement oppressante, voire problématique, notamment en raison de scènes où le consentement est flou, voire absent.
La saga des quatre soldats n’est d’ailleurs pas le seul livre à être concerné par ce problème, bien au contraire. Dans La Ronde des Saisons de Lisa Kleypas, en particulier dans le deuxième volet, on est face à des problématiques similaires, toujours avec la notion de consentement au cœur des préoccupations.
Les rééditions des classiques de la romance historique : le risque de heurter au lieu de séduire ?
Le malaise provient peut-être du manque de contextualisation. Ce roman n’est pas une nouveauté : il a été publié en VO en 2008. Or, en 2025, la perception des scènes romantiques, des rapports de pouvoir et de la notion de consentement a profondément changé. Le risque, en rééditant de tels textes sans préface, sans avertissement ou sans adaptation, c’est de les faire passer pour des modèles de romance encore valides, alors qu’ils relèvent désormais d’un imaginaire daté. Et, pour les lecteurs et les lectrices qui découvrent la romance historique par ce biais, le choc peut être rude.
C’est d’autant plus regrettable que le roman avait du potentiel. Le personnage de Lady Emmeline, en tant que femme adulte, mère et veuve, sortait des clichés habituels. L’enquête militaire autour du régiment de Samuel aurait pu étoffer l’intrigue. L’univers historique, loin des bals de la Régence, offrait un cadre original.
Néanmoins, le tout s’effondre dès que la relation entre les personnages devient centrale. Ce n’est pas tant le contenu explicite qui dérange, que le déséquilibre profond dans la manière dont l’attirance est exprimée, imposée, puis consommée.
Faut-il arrêter de rééditer ces romances ? Non, mais peut-être faut-il faut les repenser
La Saga des Quatre Soldats n’est ni un cas isolé, ni un échec total. C’est le symptôme d’un moment éditorial où l’on tente de capitaliser sur le succès actuel de la romance… sans peut-être prendre la mesure des évolutions du lectorat.
La romance historique peut et doit continuer à vivre. Toutefois, elle ne peut plus ignorer les discussions contemporaines sur la représentation, le consentement, et les modèles relationnels. Ce travail peut passer par :
- Une contextualisation des rééditions.
- Un travail éditorial de fond (préfaces, postfaces, avertissements).
- Ou tout simplement la mise en avant de titres plus récents, déjà en phase avec les attentes d’aujourd’hui.
Lire La Saga des Quatre Soldats aujourd’hui, c’est se confronter à un genre qui hésite encore entre nostalgie et évolution des moeurs. Ce roman ne manque pas de qualités, mais la romance peut laisser un goût amer.